Quelles perspectives pour le rétrofit électrique?

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Le rétrofit électrique est l’action qui consiste à remplacer le moteur thermique (essence ou diesel) d’un véhicule par un moteur électrique (batterie ou hydrogène). Il permet donc de diminuer l’impact environnemental du véhicule. Il est autorisé en France depuis peu, ses conditions de mise en œuvre ont été définies par décret du 13 mars 2020. Quel est le cadre de mise en œuvre ? Quelles sont les possibilités ? Cette transformation présente-t-elle un réel avantage ? Quelles sont les opportunités en France ? Les experts du réseau Carnauto vous proposent une synthèse pour vous aider à mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce marché de niche.

La réglementation

Paru au Journal Officiel le vendredi 3 avril, l’Arrêté Retrofit du 13 mars 2020 définit le cadre légal en France pour la conversion des véhicules essence et diesel vers l’électrique et l’hydrogène. Un bilan de l’application des prescriptions est prévu 24 mois après l’entrée en vigueur du texte pour évaluer l’opportunité d’y introduire des modifications.

Sont acceptés pour une conversion électrique les véhicules à motorisation des catégories M (engins comptant au moins 4 roues et conçus pour le transport de passagers : voitures particulières, minibus, autobus y compris les modèles articulés, autocars, etc.) et N (véhicules conçus pour l’acheminement de marchandise et ayant au moins 4 roues : utilitaires légers, camions de tous tonnages) de plus de 5 ans à la date de conversion. Le délai est ramené à 3 ans pour les engins qui entrent dans le groupe L (véhicules motorisés à 2, 3, ou 4 roues : cyclomoteurs, motos avec ou sans side-car, quadricycles divers, etc.).

Les véhicules immatriculés en collection et les engins agricoles sont exclus du dispositif.

Le rétrofit électrique est possible avec une alimentation du moteur provenant d’une batterie de traction ou d’une pile à combustible hydrogène. La puissance du groupe motopropulseur électrique doit être comprise dans la plage fermée 65 % – 100 % (40 % – 100 % pour des véhicules motorisés à 2 ou 3 roues avec ou sans side-car, c’est-à-dire les véhicules de catégorie L excepté les 4 roues, soit L1e à L5e) de la puissance maximale du moteur d’origine endothermique. Le poids du véhicule ne doit pas varier de plus de 20% après transformation.

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La réglementation permettant le rétrofit prend en compte 2 rôles : le fabricant et l’installateur. Le fabricant assure la conception, les tests et l’homologation du kit pour un modèle. Le fabricant de kits est lui-même accrédité. De son côté, l’installateur (garage partenaire) a comme obligation de respecter le processus de conversion prévu dans la phase d’homologation. Le fabricant d’un kit homologué devra fournir une liste des installateurs agréés.

La transformation d’un véhicule avec un dispositif de conversion ne peut être effectuée que par un installateur présent sur le territoire français et habilité par le fabricant de kits rétrofit. Seuls les dispositifs homologués et montés par un installateur habilité par le fabricant peuvent être installés sur les véhicules circulant sur les voies publiques routières.

Le plan de soutien à l’automobile présenté le 26 mai dernier inclut le rétrofit dans le dispositif de prime à la conversion : « Éligibilité à la prime à la conversion de la transformation d’un moteur thermique en un moteur électrique, dite « retrofit électrique », au même titre que l’achat d’un véhicule électrique d’occasion ». Le décret du 30 mai 2020 précise l’application de ce plan :

« Une aide dite prime au rétrofit électrique est attribuée à toute personne physique majeure justifiant d’un domicile en France ou à toute personne morale justifiant d’un établissement en France et à toute administration de l’Etat qui est propriétaire d’un véhicule automobile terrestre à moteur qui :

  • 1° Appartient à la catégorie des voitures particulières, des camionnettes ou des véhicules à moteur à deux ou trois roues et quadricycles à moteur au sens de l’article R. 311-1 du code de la route ;
  • 2° A fait l’objet d’une transformation de véhicule à motorisation thermique en motorisation électrique à batterie ou à pile à combustible, selon les conditions définies par arrêté du ministre de l’écologie ;
  • 3° A été acquis depuis au moins un an par le bénéficiaire de l’aide mentionnée au premier alinéa ;
  • 4° N’est pas cédé par ce même bénéficiaire dans les six mois suivant son acquisition ni avant d’avoir parcouru au moins 6 000 kilomètres. ».

La prime à la conversion est octroyée dans la limite d’une par personne jusqu’au 1e janvier 2023.

Entre le 1e juin 2020 et le 31 décembre, la prime est la suivante :

La prime rétrofit est conditionnée à la conversion d’un véhicule classé Crit’air 3. Une catégorie qui comprend les véhicules essence immatriculés avant 2006 et les véhicules diesel immatriculés avant 2011.

Pour les voitures particulières (dont l’autonomie équivalente en mode tout électrique en ville est supérieure à 50 kilomètres) le montant de l’aide est fixé à 80 % du prix d’acquisition, dans la limite de 5 000 euros si le véhicule est acquis ou loué par une personne physique dont le revenu fiscal de référence par part est inférieur ou égal à 18 000 euros ; le montant de l’aide est fixé à 2 500 euros dans les autres cas.

Pour les camionnettes le montant de l’aide est fixé à 5 000 euros.

Pour les véhicules à moteur à deux ou trois roues et quadricycles à moteur, le montant de l’aide est fixé à 1 100 euros.

A partir du 1e janvier 2021, les anciennes dispositions seront à nouveau appliquées à savoir :

Seuls les véhicules diesel antérieurs à 2001 et les véhicules essence mis en circulation avant 1997 pourront bénéficier de la prime. Elle sera toujours de 5000 € mais réservée aux foyers dont le revenu fiscal est inférieur à 13.489 € par part (2500 € au-delà).

En France, les fabricants de Kits de conversions se sont regroupés au sein d’une association : l’AIRE (Acteurs de l’Industrie du Rétrofit électrique).

L’Aire plaide pour un soutien des collectivités à l’installation de retrofit sur les utilitaires et véhicules de transport, à l’instar de la ville de Grenoble qui propose 4 000 € pour la conversion d’un petit utilitaire (de moins de 2,5 t) et 6 000 € pour un utilitaire jusqu’à 7 t. Au-delà de 7 t, l’offre est actuellement inexistante mais elle pourrait être amenée à évoluer.

Que se passe-t-il en ce moment sur ce marché ?

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Pour le moment, le retrofit concerne surtout les voitures anciennes de collection, les utilitaires et les scooters. On peut citer par exemple la société IAN MOTION pour le moment spécialisée dans la transformation d’anciennes Austin Mini en voitures électriques.

e-Néo est l’un des rares à travailler sur la conversion de camions lourds en misant sur l’hydrogène, avec la collaboration de transporteurs régionaux. Le dirigeant vise un tarif de conversion qui reste inférieur de 50 % à celui d’un équipement neuf en hydrogène. Selon lui, aujourd’hui un camion hydrogène coûte 650 000 à 700 000 €, ce qui est difficile à amortir entre 3 à 5 ans. La solution e-Néo permet d’amortir un système hydrogène sur 10 ans, puisqu’il va pouvoir être installé ensuite sur un second véhicule similaire.

Les entreprises qui souhaitent se positionner sur ce marché sont en train d’établir des stratégies soit de baisse des coûts soit de partenariats.

Baisse des coûts :

E-Néo réalise des économies d’échelle grâce aux transporteurs : Avec les entreprises de transport, E-Néo peut dupliquer son système sur de nombreux véhicules car tous les poids lourds d’une flotte sont identiques. Grâce à cela, la société réalise des économies d’échelle. Pour une maîtrise maximale des coûts, Transition-One pourrait actionner plusieurs leviers. Le premier, c’est de conserver la boîte de vitesses d’origine. Il pourrait très bien être envisagé également de composer des packs avec des éléments (batteries) d’occasion mais en bonne santé et peu âgé. La durée de vie de l’ensemble risquerait cependant d’être plus aléatoire.

Partenariats :

Wattalps startup grenobloise créée en 2018 a développé un nouveau concept de batteries haute-performances modulaires a noué un partenariat avec Oscarlab (filiale innovation d’Oscaro) pour développer des solutions de kits d’électrification pour la conversion 100 % électrique de véhicules thermiques.

GM pourrait fournir la mécanique de la Chevrolet Volt électrique – qui peine à trouver sa clientèle – aux préparateurs sur le marché du rétrofit afin de rentabiliser la production de cette voiture.

La startup Carjager (plateforme d’achat et vente de véhicules de collection) et la startup Retrofuture (retrofit de voitures anciennes) s’associent : dans un premier temps, CarJager va intervenir comme source fiable d’approvisionnement pour les ateliers de transformations de Retrofuture. Ensuite, Retrofuture aura la liberté de commercialiser ses véhicules selon les modalités de son choix. Un nouveau schéma pourrait se mettre en place à moyen terme. CarJager présente toutes les caractéristiques d’un apporteur d’affaires pour le spécialiste de l’électrification, au titre de générateur de leads. Il serait donc pertinent de proposer directement la prestation aux internautes, qu’ils soient en phase d’acquisition d’un véhicule ou simple passionné en visite.

Quel avenir ?

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Selon un article de la Tribune, un véhicule “converti” a un coût de maintenance moins élevé, à plus forte raison si le véhicule a plus de cinq ans. A cela, il faut retirer le coût du carburant. Le coût d’usage devient alors intéressant et peut justifier de prolonger la vie d’un véhicule. De plus, le véhicule est exempté de la TVS (taxe sur les véhicules de société), soit une réelle économie pour les flottes d’entreprise.

Ces avantages sont à mettre au regard du coût de conversion. Pour le moment, il est difficile de le prévoir avec certitude car le marché s’organise et les homologations sont en cours. Chaque kit de conversion est spécifique à chaque modèle de véhicule en circulation. Il faut amortir les frais d’homologations qui s’élèvent autour de 30.000 euros, ce qui alourdit le coût unitaire s’il n’y a pas, derrière, une masse de véhicules à homologuer.

Toujours selon cet article, les poids lourds constitueront le premier marché, suivi des utilitaires, car les kits sont plus faciles à standardiser sur ce segment. Pour Arnaud Pigounides, co-président de l’AIRe il y a un marché évident pour les poids lourds.

Le rétrofit pour la voiture particulière viendra dans un second temps car il ne pourra pas répondre à tous les usages. En effet, pour les voitures particulières, l’autonomie dépassera rarement les 150 km. De plus, le coût va probablement représenter un frein, les calculs devront être fait en tenant compte des aides de l’état pour connaître le bénéfice réel. Aujourd’hui, il faut compter entre 12 et 17.000 euros pour convertir une ancienne Fiat 500, il est très probable que cette fourchette descende sous les 10.000 euros d’ici trois ans. Chez Transition One, l’installation du kit ne réclamerait, selon son créateur Aymeric Libeau, que quatre heures. Le coût final de la voiture va ainsi dépasser de beaucoup sa valeur vénale. Ainsi dans un article du Point, les auteurs s’interrogent « sur le bien-fondé de ce marché naissant, qui ressemble à un siphonnage de subventions publiques ».

D’après deux hypothèses construites par l’AIRe, sur la période 2020 à 2025, 65.000 voitures pourraient être converties, soit 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et 5.000 emplois directs et indirects créées et/ou conservés. Sur une hypothèse de transformation plus optimiste de 1% du parc automobile français, ce serait 400.000 voitures converties, 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 65.000 emplois qui vivraient de cette activité.

Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Italie ou en Allemagne, où le rétrofit est autorisé depuis plusieurs années, le marché est resté confidentiel, quelques dizaines de milliers de véhicules retrofités tout au plus, en additionnant ces pays. Selon Guillaume Crunelle, responsable du secteur automobile au cabinet Deloitte France, la France pourrait se démarquer. En effet selon lui, en France toutefois, plusieurs indicateurs sont au vert et peuvent laisser présager un plus grand essor. C’est par exemple la fin de la vente des véhicules thermiques en 2040 inscrit dans la Loi orientation des mobilités (LOM). C’est aussi l ’interdiction progressive, dans les grandes villes, des véhicules essences les plus anciens et des diesels. De plus, l’opinion publique est de plus en plus favorable au véhicule électrique. Pour une étude d’opinion, 50 % des personnes que sondées par le Cabinet Deloitte France ont répondu que leur prochaine voiture serait ni essence, ni diesel. L’annonce du plan de soutien à l’automobile du 26 mai dernier et les différentes mesures (accélération de la mise en place des bornes de recharge, prime à la reconversion) sont également favorables.

En conclusion

Le marché du rétrofit reste probablement un marché de niche avec une durée de vie limitée dans le temps. Néanmoins il peut présenter un intérêt pour les flottes d’entreprises, les véhicules utilitaires, les poids lourds. Cette synthèse permet de mettre en évidence différents besoins en innovation pour cette filière. Il faut tout d’abord diminuer les coûts, ce qui peut se faire en industrialisant et optimisant les process. Il faudrait également que le rétrofit puisse répondre à tous les usages, ce qui signifie que l’autonomie des véhicules doit pouvoir être augmentée. En diminuant les coûts et en élargissant le spectre d’utilisation, le rétrofit pourrait trouver une place dans la filière automobile.

Les experts Carnauto peuvent répondre à ces besoins : avec plus de 8000 chercheurs et plus de 50 plateformes technologiques, Carnauto donne accès à une gamme inédite de compétences scientifiques et de moyens technologiques. Ses compétences sont regroupées autour de 3 défis qui correspondent aux axes d’innovation nécessaires pour le rétrofit :

  • Motorisation : Batteries, pile à combustible et stockage d’hydrogène, photovoltaïque et réseau intelligent, organes, moteurs, GMP et véhicule…
  • Matériaux et architecture : essais mécaniques, thermiques et tribologiques, fabrication additive, caractérisation vibroacoustique, mise en forme…
  • Les TIC : prototypage de composants électroniques, radio-fréquence, ADAS et navigation autonome, dispositifs de réalité virtuelle, optimisation et expertise CEM, essais multiphysiques…

C. Chagny, pour Carnauto